Le rôle des tests d'intelligence dans la légitimation des inégalités sociales
Les tests d'intelligence, en particulier ceux qui sont largement utilisés dans les systèmes éducatifs comme le WISC-IV (Wechsler Intelligence Scale for Children) dignes heritiers du premier test d’intelligence de Binet, sont souvent présentés comme des outils objectifs pour mesurer les capacités cognitives des enfants. Cependant, leur rôle dans la légitimation des inégalités sociales est de plus en plus critiqué par les chercheurs en sciences sociales.
Stephen Jay Gould, dans son ouvrage phare The Mismeasure of Man (1981), a mis en lumière comment les tests d'intelligence ont été historiquement utilisés pour justifier des hiérarchies sociales et raciales. Il montre que ces tests, loin d'être des mesures neutres, sont enracinés dans des préjugés culturels et sociaux. Par exemple, les résultats des tests de QI (Quotient Intellectuel) ont souvent été utilisés pour légitimer des politiques eugénistes et pour classer les individus selon des critères supposément "scientifiques" qui reflétaient en réalité les biais de la société qui les produisait.
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, dans La Reproduction (1970), approfondissent cette critique en soulignant que le système éducatif, à travers l'utilisation de ces tests, reproduit les inégalités sociales. Selon eux, les tests d'intelligence ne mesurent pas une capacité cognitive pure, mais plutôt une adaptation aux normes scolaires et culturelles qui sont davantage valorisées dans les milieux sociaux favorisés. Ainsi, les enfants issus de ces milieux ont plus de chances de réussir ces tests, non pas parce qu'ils sont naturellement plus intelligents, mais parce que leur environnement les a préparés à répondre aux attentes du système éducatif et scolaire.
D'autres chercheurs, comme Robert Sternberg, ont également critiqué l'usage des tests d'intelligence pour leur biais culturel. Dans son article "Cultural Bias in Intelligence Testing" (2004), Sternberg explique que les tests comme le WISC-IV favorisent les enfants qui sont familiarisés avec le langage et les concepts utilisés dans ces tests, renforçant ainsi les inégalités existantes. Il propose une vision plus dynamique de l'intelligence, qui tient compte de la diversité des contextes culturels et sociaux.
Cette perspective est cruciale pour comprendre que les tests d'intelligence ne sont pas de simples outils de mesure, mais des instruments qui peuvent renforcer les inégalités sociales en validant une conception étroite de l'intelligence. En valorisant certaines compétences au détriment d'autres, ils contribuent à la reproduction des hiérarchies sociales et culturelles.
Pour aller au-delà de cette vision réductrice de l'intelligence, il est essentiel d'adopter des approches éducatives plus inclusives qui reconnaissent la diversité des compétences et des talents. Howard Gardner, avec sa théorie des intelligences multiples, propose une alternative qui permet de valoriser des formes d'intelligence souvent négligées par les tests traditionnels, comme l'intelligence interpersonnelle, intrapersonnelle, et kinesthésique (Gardner, 1983). Mais plus récemment, j’encourage le lecteur à lire Carlos Tinoco qui s’est intéressé à l’écart entre surdoués et les autres, mettant en évidence des singularités d’approche majeure de l’individu surdoué dans son rapport au groupe, au discours identitaire et à l’autre de façon plus singulière.
Références
- Gould, Stephen Jay. The Mismeasure of Man. New York: W.W. Norton & Company, 1981.
- Bourdieu, Pierre, and Jean-Claude Passeron. La Reproduction: Éléments pour une théorie du système d'enseignement. Paris: Les Éditions de Minuit, 1970.
- Sternberg, Robert J. "Cultural Bias in Intelligence Testing." American Psychologist 59, no. 5 (2004): 325-338.
- Gardner, Howard. Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences. New York: Basic Books, 1983.
- Tinoco, Carlos. Intelligents, trop intelligents - Les Surdoués, de l'autre côté du miroir. Paris: Poche, 2015