La douance face à la supposée construction sociale de l'intelligence
L'intelligence est perçue comme un don naturel, une qualité innée qui se manifeste de manière spontanée chez certains individus. Cependant, cette perception est censée masquer des dynamiques sociales complexes qui façonnent la manière dont cette intelligence est perçue et développée, en particulier chez les enfants catégorisés comme "surdoués". La thèse de Léa Dousson qui a inspiré cet article explore comment la socialisation au sein de la famille joue un rôle crucial dans la construction de cette "excellence intellectuelle". Il y a beaucoup de généralités énoncées dans cette thèse, des éléments qui ne vont pas dans le sens de l’état des connaissances sur le sujet et qui ne sont pas étayées, mais surtout d’autres, qui me paraissent ne pas pouvoir être considérées sérieusement et constituent un biais statistique important, comme « Les parents de HPI ont en effet les moyens financiers pour inscrire leurs enfants dans plusieurs activités extrascolaires pendant l’année ainsi qu’en stage ou en colonie pendant les vacances », ou il est évident que cela n’a pas de sens, n’est certainement pas réel, même dans le contexte de la « construction d’un surdoué », car il est évident qu’il n’y a pas de surdoués que dans les familles riches ! Pourtant quelques éléments de réflexion peuvent apporter un éclairage singulier, c’est ce que nous allons voir.
I. La socialisation familiale : un cadre déterminant
Le rôle des parents-professionnels de l’éducation
Selon Léa Dousson, les parents d'enfants surdoués, particulièrement les mères, jouent un rôle central dans la socialisation de leurs enfants. Dans le chapitre 4, elle explique que ces parents, qualifiés de "parents-professionnels de l’éducation", investissent intensément dans l'éducation de leurs enfants. Ils organisent la vie quotidienne de manière à maximiser la réussite scolaire et le développement intellectuel de leurs enfants, créant ainsi un environnement qui valorise l'excellence. Dousson note : "Ce fort investissement parental n'est pas seulement un facteur de réussite, mais aussi un vecteur de légitimation de l'intelligence perçue". Ce constat est corroboré par les travaux d'Annette Lareau, qui dans "Unequal Childhoods" démontre comment les pratiques de "concerted cultivation" un concept qu’elle a élaboré, favorisent le développement des compétences intellectuelles des enfants et est le style parental typique des familles des classes moyennes et supérieures. Il s’agit d’une forte implication des parents pour encourager les talents de leurs enfants et stimuler leurs compétences cognitives et non cognitives. Cela dit, elle ne fait pas le lien avec les recommandations usuelles de toute la littérature sur le sujet qui indique aux parents qu’il est primordial de nourrir leurs enfants surdoués, mais aussi à la nature même de ces enfants qui posent des questions sur le monde en permanence et qui favorisent donc, lorsque la famille y est réceptive, à créer des échanges stimulants sur des sujets enrichissants. De plus, il parait évident qu’un surdoué élevé dans un cadre qui stimule son appétit de connaissances, de compréhension et où il bénéficie de beaucoup d’autres apports créatifs, culturels et sociaux va se développer différemment ou plus rapidement que dans une famille ou tout cela est laissé à sa seule responsabilité. Je ne sais pas si l’on peut parler ici d’une révélation.
L'importance des loisirs éducatifs
Dans le chapitre 6 de la thèse, Dousson analyse comment les loisirs dans les familles d'enfants surdoués ne sont pas simplement des moments de détente, mais font partie intégrante d'un continuum éducatif. Il s’agit encore une fois d’une généralisation embarrassante, même si l’on peut penser que toute activité y compris sportive apporte son lot d’apprentissages multiples et de développement potentiel. Et il ne s’agit pas seulement, contrairement à ce qu’elle indique, « d’anxiétés éducatives », mais peuvent avoir différentes sources. Elle observe : "Les activités extra-scolaires, les lectures et les discussions familiales sont orientées vers l'enrichissement intellectuel des enfants". Ce continuum éducatif, qui englobe tous les aspects de la vie de l'enfant, renforce sa perception en tant que surdoué et contribue à son succès scolaire. Cette observation rejoint les conclusions de Pierre Bourdieu sur le rôle du capital culturel dans la reproduction des inégalités sociales.
Mais on se heurte ici à une limite qu’il ne faut pas franchir, on peut favoriser le développement de l’enfant, mais ce n’est pas la surstimulation qui créera un surdoué. La douance c’est aussi l’écart avec les autres, dans le rapport au monde, aux relations, au questionnement, dans la nature et l’intensité des émotions, et beaucoup d’autres aspects.
II. Les tests d'intelligence : un outil façonné par des dynamiques sociales
Vous retrouverez deux articles à ce sujet dans le blog qui donnent les bases sur l’origine des tests et approfondissent la question. Mais rapidement ici pour la logique de l’exploration, je vais le résumer. Les tests d'intelligence, comme le WISC-IV, sont souvent utilisés pour identifier les enfants surdoués. Cependant, Dousson critique ces tests dans le chapitre 2 de sa thèse, en soulignant qu'ils sont plus influencés par des logiques scolaires et sociales que par une mesure objective de l'intelligence. Elle écrit : "Ces tests sont conçus dans un cadre éducatif spécifique et favorisent certaines compétences sur d'autres, reflétant ainsi des biais culturels et sociaux". Cette critique est en ligne avec les travaux de Stephen Jay Gould, qui dans "The Mismeasure of Man" explique que les tests d'intelligence sont souvent biaisés et ne mesurent pas une capacité innée, mais plutôt une conformité à des normes culturelles. Vous trouverez plus de détails dans les articles dédiés.
L'influence des attentes familiales
Les attentes des parents jouent également un rôle crucial dans les performances des enfants aux tests d'intelligence. Dousson note que ces attentes, combinées à une préparation spécifique, peuvent fausser les résultats des tests, créant ainsi une prophétie auto-réalisatrice où l'intelligence perçue comme innée est en fait le produit d'une socialisation ciblée. Cette observation est soutenue par des études sociologiques qui montrent comment les attentes parentales et leur encadrement peuvent influencer les résultats scolaires et psychométriques des enfants, renforçant ici l'idée que l'intelligence telle qu’elle est mesurée est plus socialement construite que naturellement donnée.
III. La naturalisation de l'intelligence : un mythe légitimé par les dynamiques familiales
Déconstruction de l'idéologie du don :
Léa Dousson déconstruit l'idéologie du don, qui présente l'intelligence comme un talent naturel et inexplicable, sans pour autant l’argumenter et sans questionner les différences identifiées entre les surdoués et les autres, au-delà des simples tests de QI, ce qui montre que toutes les connaissances empiriques sont laissées de côté. Dans l'introduction et la conclusion de sa thèse, elle tente d’établir que l'intelligence perçue comme "naturelle" est en réalité le produit d'une socialisation intense au sein de familles qui investissent massivement dans l'éducation de leurs enfants. Cette perspective rejoint les analyses de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans "La Reproduction", où ils démontrent que le mérite est souvent une façade pour des dynamiques sociales profondes qui légitiment les inégalités. Or l’intelligence est plus complexe qu’une simple performance cognitive scolaire ou construction sociale.
On peut dès lors se demander si l’objectivité intellectuelle a guidé cette thèse ou si dès le départ elle tentait de se concentrer à démontrer un point de vue.
La perception de l'intelligence comme un don naturel est largement remise en question par la psychologie sociale qui la considère façonnée par les pratiques familiales et sociales. En investissant intensément dans l'éducation de leurs enfants, les parents jouent un rôle central dans la construction de cette "excellence intellectuelle" qui selon eux est prépondérante. Les tests d'intelligence, loin de mesurer une capacité innée, sont influencés par des logiques sociales qui renforcent les inégalités, et en cela ils ont raison. Il est cependant intéressant de reconnaître ces dynamiques pour mieux comprendre comment se construit l'intelligence perçue et pour remettre en question les idéologies qui légitiment les inégalités sociales. Mais les surdoués ne se caractérisent pas seulement par un ensemble de résultats et par une construction sociale, la différence est ailleurs et elle a été suffisamment documenté pour qu’elle ne puisse être écarté de toute analyse ou complément d’analyse sur le sujet, comme si seul le test de QI avait une valeur qui est par ailleurs critiqué, il y a ici un illogisme majeur qui laisse penser que la psychologie sociale considère que les surdoués sont simplement des enfants ou des adultes ayant bénéficié de conditions favorables à leur développement intellectuel. C’est affligeant de réductionnisme.
Références
- Dousson, Léa. Comment façonne-t-on un "surdoué" ? Analyse de la socialisation à l'œuvre dans les familles d'enfants catégorisés à "haut potentiel intellectuel". Thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2, 2022. URL : https://hal.science/tel-04653863
- Bourdieu, Pierre, and Jean-Claude Passeron. La Reproduction: Éléments pour une théorie du système d'enseignement. Paris: Les Éditions de Minuit, 1970.
- Gould, Stephen Jay. The Mismeasure of Man. New York: W.W. Norton & Company, 1981.
- Lareau, Annette. Unequal Childhoods: Class, Race, and Family Life. Berkeley: University of California Press, 2003.