Jeux d’influences et figure d'autorité à l’ère des réseaux sociaux
Dans un monde saturé d'informations et où les voix cherchent à se faire entendre, la notion d'autorité a évolué. Aujourd'hui, devenir une figure d'autorité ne dépend plus seulement de la maîtrise d'un savoir spécifique ou d'une reconnaissance institutionnelle. L'ère numérique a transformé les dynamiques de légitimité et d'influence, redéfinissant les critères par lesquels une personne peut s'imposer comme une autorité. Pour le plus grand drame du public, car chaque voix apparaît experte et l’on peut légitimement se demander si le tri s’effectue sur le nombre de followers ou de commentaires, plus que sur le contenu. On parle alors de biais de conformité, ce biais se manifeste lorsqu'une personne ajuste ses croyances ou comportements pour les aligner avec ceux du groupe, souvent par désir d'appartenance, par peur d'être exclue, ou par l'influence de la pression sociale. Mais également de biais de preuve sociale, Une autre forme de biais connexe, où les individus supposent qu'une action est correcte ou acceptable simplement parce qu'ils voient d'autres personnes la pratiquer. Les deux biais sont étroitement liés et peuvent renforcer la tendance à suivre le groupe sans exercer un jugement critique.
Il ne peut donc être écarté l’influence du système, mais voyons plus en détail, les mécanismes permettant de devenir une figure d’autorité, de rallier l’opinion individuelle et transformer un lecteur ou un « viewer », en « follower » ou en client.
L'autorité par répétition et amplification
L'une des dynamiques clés de l'influence contemporaine est la répétition d'idées déjà présentes dans le discours public. Des recherches en communication montrent que la répétition renforce la crédibilité perçue, un phénomène que l'on peut attribuer au biais de familiarité (Cialdini, 2006). Sur les réseaux sociaux, cette répétition est amplifiée par des algorithmes qui favorisent les contenus populaires, créant ainsi une boucle de rétroaction où les idées déjà acceptées gagnent en légitimité.
L'exemple de la « pensée en arborescence » dans le domaine de la douance illustre bien ce phénomène. Selon une étude publiée dans la Journal of Educational Psychology, des concepts basés sur des fondements scientifiques discutables peuvent s'ancrer dans l'esprit du public comme des vérités établies grâce à leur répétition par des figures d'autorité apparente (Sternberg, 2013).
L'effet d'entraînement et l'autorité par association
L'effet d'entraînement, où les individus imitent les comportements ou opinions de ceux qu'ils perçoivent comme influents, joue un rôle clé dans la construction de l'autorité. L'autorité par association est souvent visible dans les cercles d'influenceurs, où les collaborations stratégiques et les partenariats peuvent suffire à renforcer une image d'expertise (Smith, 2016).
Dans un monde où la perception est souvent tout aussi importante que la réalité, l'autorité devient un produit de l'alignement avec les bonnes personnes et les bonnes idées. Cette dynamique est renforcée par la nature des plateformes numériques, où les abonnés et les interactions sont souvent perçus comme des indicateurs de légitimité.
La création d'une niche et l'autorité par spécialisation
La spécialisation dans une niche particulière peut être une autre voie pour devenir une figure d'autorité. Dans un paysage saturé, se concentrer sur un sujet très spécifique permet de se distinguer et de devenir une référence incontournable dans ce domaine. Des chercheurs en communication comme Gladwell (2000) ont montré que ceux qui maîtrisent une niche peuvent exercer une influence disproportionnée par rapport à leur taille ou à leur audience.
Cette stratégie est particulièrement efficace dans des domaines où les connaissances sont spécialisées et où le public cherche des experts capables de fournir des informations précises et approfondies. La spécialisation permet de construire une autorité solide, même sur des sujets relativement obscurs, en s'adressant à un public ciblé. C’est exactement le type de dérives à laquelle on arrive sur le sujet de la douance, par exemple.
L'autorité performative et l'influence par l'image
Dans l'univers numérique, l'autorité est aussi une question de perception. La manière dont une personne se présente — son image, son ton, sa capacité à projeter de la confiance — peut être aussi importante que ses compétences ou ses connaissances. L'autorité devient ainsi performative : c'est l'art de convaincre le public que l'on détient la vérité ou la compétence. Et lorsque le discours est structuré pour être très répétitif, nous arrivons au phénomène Simon Sinek dont la théorie est plus que bancale, mais qui est pourtant suivis et écouté par des millions de « fans ». Kahneman (2011) explique comment les biais cognitifs comme le biais de confirmation peuvent renforcer cette autorité perçue.
Les réseaux sociaux sont des plateformes où l'apparence de l'autorité peut être construite de manière stratégique. Un profil bien soigné, des collaborations visibles avec d'autres figures reconnues, et une communication efficace peuvent suffire à établir une autorité perçue, même si elle n'est pas toujours soutenue par une expertise réelle.
5. L'autorité contestataire et l'influence par opposition
Enfin, il est également possible de devenir une figure d'autorité en se positionnant en opposition aux discours dominants. En critiquant les idées établies ou en remettant en question des figures déjà reconnues, une personne peut attirer un public qui se sent en marge ou critique du consensus. Cette approche contestataire est bien documentée dans les travaux de sociologues comme Bourdieu (1984), qui a exploré la dynamique du champ culturel et les mécanismes de distinction.
L'autorité contestataire séduit souvent ceux qui recherchent des perspectives alternatives ou critiques des sources d'information traditionnelles. En prenant des positions audacieuses ou controversées, une personne peut se positionner comme une voix indépendante et crédible dans les cercles où la dissidence est valorisée.
Conclusion
Devenir une figure d'autorité aujourd'hui est un processus complexe où la maîtrise du sujet, la perception publique, et les dynamiques sociales s'entremêlent et naissent avant tout d’une construction plutôt que d’un véritable savoir ou d’une compétence acquise. L'autorité se construit autant par la répétition et l'amplification d'idées existantes que par la spécialisation, la performance de l'image, ou la contestation. Dans un monde où l'influence est devenue une monnaie d'échange précieuse, comprendre ces mécanismes est essentiel pour décoder la réalité.
Références
- Bourdieu, P. (1984). La Distinction: A Social Critique of the Judgement of Taste. Harvard University Press.
- Cialdini, R. B. (2006). Influence: The Psychology of Persuasion. Harper Business.
- Gladwell, M. (2000). The Tipping Point: How Little Things Can Make a Big Difference. Little, Brown and Company.
- Kahneman, D. (2011). Thinking, Fast and Slow. Farrar, Straus and Giroux.
- Smith, R. (2016). The Influencer Economy: How to Launch Your Idea, Share it with the World, and Thrive in the Digital Age. Perigee Books.
- Sternberg, R. J. (2013). "The Theory of Successful Intelligence: Retrospect and Prospect." Journal of Educational Psychology, 105(2), 284-297